L’altruisme est régulièrement le sujet de livres ou d’articles. Mais quelle réalité se cache derrière ce mot et cet engouement ?
Je vous propose ci-après ma relecture du livre de Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l’altruisme, pavé de plus de mille pages en version poche ou plus de 10 h de lecture en version ebook ;-). J’y propose également des apports d’autres sources.
Premier constat : consommation vs plénitude
L’observation de la société occidentale mène à conclure que les Sages ne sont plus des modèles, mais sont remplacés par des gens riches, célèbres ou puissants. Le goût de la consommation a supplanté la recherche du sentiment de plénitude. En même temps si les occidentaux vénèrent mère Thérésa, Gandhi, Martin Luther King, l’abbé Pierre ou Nelson Mandela, ils rêvent majoritairement de devenir Tom Cruise ! La facilité de la célébrité attire plus que l’effort de la transformation spirituelle.
Second constat : être altruiste n’est pas chose aisée
La réalité quotidienne comporte son lot de violence, cela dit, celle-ci est en constante diminution au cours des siècles derniers. Les scientifiques, dont Daniel Batson, ont démontré que l’altruisme véritable existe et ne se réduit pas à une forme d’égoïsme déguisé.
Le Dalaï-lama indique que la compassion authentique c’est nous sentir profondément concernés par le bonheur d’autrui, ami ou ennemi.
Tout pratiquant doit d’abord se transformer lui-même avant de pouvoir se mettre efficacement au service des autres. Attention cependant à la nécessité de jeter un pont entre la vie contemplative et la vie active !
Ceci est d’ailleurs le principal sujet du livre Après l’extase la lessive. Jack Kornfield y donne de nombreux exemples de personnes, de toutes religions, qui vivent une période en retrait du monde (durant parfois plusieurs années), apportant plénitude et révélation intérieure. Après cette parenthèse, le retour au quotidien est complexe. En effet, comment revivre ces moments de plénitude, dans une vie classique qui porte son lot de contraintes matérielles ?
Troisième proposition : inscrire l’altruisme en harmonie avec l’économie et l’environnement
L’un des défis majeurs d’aujourd’hui « consiste à concilier les impératifs de l’économie, de la recherche du bonheur et du respect de l’environnement. Ces impératifs correspondent à trois échelles de temps, le court, le moyen et le long terme, auxquelles se superposent trois types d’intérêt : les nôtres, ceux de nos proches et ceux de tous les êtres. »
Les études montrent que le consumérisme immodéré est étroitement lié à un égocentrisme excessif, à un affaiblissement des liens sociaux, à la diminution des relations vraies, à la diminution de l’empathie et de la compassion à l’égard de ceux qui souffrent. Les pays riches ne sont pas prêts à réduire leur train de vie vers plus de simplicité. Ce sont pourtant eux qui sont à l’origine de l’ère de l’Anthropocène, première ère géologique dans l’histoire du monde où les activités humaines modifient profondément l’ensemble du système qui maintient la vie sur terre.
L’individualisme peut favoriser l’esprit d’initiative, la créativité, le « think out of the box », mais il peut aussi dégénérer en égoïsme, au détriment du bien-être de tous.
L’altruisme, tel un fil d’Ariane dans nos vies contemporaines et mondialisées, peut nous permettre de relier naturellement les trois échelles de temps, court, moyen et long terme, en harmonisant leurs exigences.
L’égoïsme mène 1% de la population mondiale qui détient 25% de la richesse, à profiter de la société et de la terre sur laquelle a été bâtie cette richesse dans une vision de satisfaction immédiate quels que soient les sacrifices engendrés à court, moyen et long terme.
L’altruisme vise à promouvoir une économie solidaire donnant place à la confiance réciproque et la valorisation des intérêts d’autrui, fondées sur les trois piliers de la prospérité véritable :
- La préservation de l’intégrité de la nature
- L’épanouissement des activités humaines
- Les moyens financiers assurant notre survie et nos besoins matériels raisonnables
En guise de conclusion temporaire
Les chercheurs en neurosciences ont maintenant prouvé que l’altruisme ou la compassion peuvent être appris, notamment grâce à la plasticité neuronale (les circuits neuronaux se redessinent en fonction de nos apprentissages).
Ainsi, on a trois rythmes d’évolutions :
- individuel -via l’apprentissage et l’imitation-,
- culturel -plus lent-,
- génétique -encore plus lent-.
Ces rythmes sont cumulatifs et en interaction : des individus altruistes font évoluer leur société, sa culture et ses institutions, qui font évoluer la génétique (via l’épigénétique) au fil des générations. Ces trois éléments sont interconnectés avec des rythmes d’évolutions différents.
« Pour récapituler, l’altruisme semblait être un facteur déterminant de la qualité de notre existence, et ne doit pas être relégué au rang de nobles pensées utopistes entretenues par quelques naïfs au grand cœur. »
Parcours de Matthieu Ricard
- Né en 1946, il vit en occident avant ses 20 ans.
- 1967 voyage en Inde pour y rencontrer des grands maîtres du bouddhisme tibétain, dont Kangyur Rinpotché qui devient son maître spirituel.
- 1967-1972 thèse en génétique cellulaire à l’Institut Pasteur sous la direction de François Jacob. « Je dois à ces années de formation scientifique d’avoir appris à apprécier l’importance de la rigueur et de l’honnêteté intellectuelles. »
- 1972 installation à Dajeeling auprès de Kangyur Rinpotché (mort en 1975) puis Dilgo Khyentsé Rinpotché. Il mène une vie simple et passe quelques années en ermitage. « Grâce aux enseignements que j’ai reçu de mes maîtres, j’ai pris conscience des bienfaits inestimable de l’altruisme. »
- 1989 interprète français du Dalaï-lama
- 1997 Le moine et le philosophe. Entretien entre Jean-François Revel philosophe et père de Mathieu Ricard et Mathieu Ricard lui-même. Fin de la vie tranquille et anonyme et ouverture de nouvelles opportunités.
- 2000 participation active à des programmes de recherche en neurosciences dans l’objectif d’analyser les effets de l’entraînement de l’esprit par la méditation. Avec le neuroscientifique Francesco Varela et l’institut Mind and Life sous l’égide du Dalaï-lama.
« Mon expérience c’est donc constituée au confluent de deux grandes influences, celle de la sagesse bouddhiste de l’orient et celle des sciences occidentales. (…) Je suis toujours particulièrement inspiré par la vision bouddhiste selon laquelle chaque être humain possède en lui un potentiel inaltérable de bonté et d’épanouissement. Le monde occidental que je retrouvais, un monde où l’individualisme est apprécié comme une force est comme une vertu, au point de souvent de virer à l’égoïsme et au narcissisme, était d’autant plus déconcertant.
» Les sources culturelles et philosophiques occidentales orientent profondément et durablement la vision de l’homme : « l’homme est un loup pour l’homme » (Plaute), « l’altruisme est la marque des faibles » (Nietzche), « je n’ai découvert que fort peu de bien chez les hommes » (Freud). Cette vision sous-tendant une vision a priori égoïste des actes humains n’a été contestée que récemment.