L’amour, émotion suprême

Quels sont les points communs et les différences de l’amour avec l’altruisme, selon Barbara Fredrickson, l’une des fondatrices de la psychologie positive et spécialiste de l’amour ?

Crédit Photo : A Grisard

Les émotions positives ne sont pas une simple absence d’émotion négative (la bienveillance n’est pas qu’une absence de malveillance, idem pour la tristesse et la joie…), mais sont sources de profonde satisfaction.

Ainsi l’épanouissement provient d’émotions positives actives, pas seulement de la neutralisation des émotions négatives. 

Les émotions positives nous aident à adopter des comportements et points de vue plus souples et créatifs. En effet, le triangle Pensées-Emotions-Comportement présente trois pôles interconnectés. Ainsi, lorsque je ressens des émotions positives, mes pensées et comportements vont être liés, de même, en cas de ressenti d’émotions négatives. 

De plus, il y a également un phénomène de spirale descendante ou ascendante ! Les émotions positives nous rendent plus résilients et en meilleure capacité d’affronter l’adversité.

Paul Ekman et Richard Lazarus spécialistes des émotions ont identifié les émotions fondamentales : la joie, la tristesse, la colère, la peur, la surprise, le dégoût et le mépris. Auxquelles s’ajoutent l’amour, la compassion, la curiosité, l’intérêt, l’affection, et les sentiments de honte et de culpabilité

Le film Vice-Versa, Inside Out en version originale, est construit sur 5 de ces émotions fondamentales : Joie, Peur, Colère, Dégoût, Tristesse.
Joie pilote le centre de contrôle des émotions, Peur est en charge de la sécurité, Colère en charge de la justice, Dégoût empêche l’héroïne d’être empoisonnée au propre comme au figuré, Tristesse n’est pas très sûre de son rôle…

A court terme, ces émotions affectent nos comportements et pensées, à long terme, par répétition, elles affectent nos traits de caractère (ou motivations extrinsèques selon l’ANC) 

Selon Barbara Fredrickson, l’amour est l’émotion suprême, engendrée lorsque trois événements surviennent simultanément :

  1. le partage d’une ou plusieurs émotions positives
  2. une synchronie entre le comportement et les réactions physiologiques de deux personnes
  3. l’intention de contribuer au bien-être de l’autre, qui engendre une sollicitude mutuelle

Comme toute émotion, l’amour est relativement fugace, cela dit, il est renouvelableindéfiniment ! 

Par ailleurs, il est à la source de liens d’un attachement profond et durable, et à l’origine de bienfaits considérables pour la santé physique et mentale. 

Dans l’acception commune, l’amour est donc l’accumulation de ces moments courts lors desquels on ressent une émotion positive, ou encore une accumulation d’assonances affectives (vs une dissonance affective ou accumulation de ressentis négatifs). 

L’amour permet ainsi de voir l’autre avec sollicitude, bienveillance et compassion. L’amour est ainsi connecté à l’altruisme, où l’on est sincèrement concerné par son propre bien et par celui d’autrui. 

Cela dit, l’altruisme étendu est indépendant de l’autre, inconditionnel et ne nécessite pas de partage ou de synchronie. 

La synchronie caractérise une connexion de deux cerveaux, au même moment, avec l’adoption de configurations neuronales semblables, allant jusqu’à une anticipation de quelques secondes, de ce qui va se passer dans l’autre cerveau, particulièrement lors des moments émotionnels de la conversation. Le langage met en mots cette réalité : être sur la même longueur d’onde, être au diapason, « quand deux esprits se rencontrent »… 

Les neurones miroirs ont été mis en évidence par des chercheurs : lorsqu’un geste est réalisé par une personne, le cerveau de quelqu’un qui l’observe active les mêmes neurones, sans faire le geste. Cette découverte est le fruit du hasard : lors d’une pause déjeuner, les enregistreurs mesurant l’activité cérébrale des singes, se sont mis à crépiter, alors qu’un chercheur mangeait une banane… sous les yeux des singes 😉

Autre élément ayant une incidence forte sur les capacités relationnelles : l’ocytocine. Ce neuropeptide semble diminuer notre stress et augmenter notre propension relationnelle spontanée, intensifier notre attention aux signaux sociaux, et intensifier nos tendances naturelles : sociabilité, affectivité, mais aussi jalousie, anxiété. Son effet sur l’altruisme reste à explorer. 

Enfin, le nef vague, qui relie le cerveau au coeur a également une incidence sur notre interaction à l’autre. Il ramène le calme en nous, et facilite la connexion à l’autre. « Il ajuste les minuscules muscles de l’oreille médiane qui permettent de se concentrer sur la voix de quelqu’un au milieu d’un bruit ambiant. Son activité favorise ainsi les échanges et accroît les possibilités de résonance positive. (…) On a constaté que ceux qui ont un tonus vagal élevé s’adaptent mieux physiquement et mentalement à des circonstances changeantes (…) » Il est également lié à un système immunitaire plus robuste, une moindre inflammation chronique ainsi qu’une moindre susceptibilité aux crises cardiaques, diabète, ou encore certains cancers. Cela dit, le tonus vagal est améliorable, via la méditation sur l’amour altruiste ! 

Une expérience avec 140 adultes pendant 7 semaines a montré les bénéfices d’un entrainement quotidien à la méditation de l’amour altruiste, d’abord pour soi, puis pour ses proches, puis ses connaissances et enfin l’ensemble des êtres. Les effets positifs perdurent pendant la journée, avec un effet cumulatif au cours du temps, la condition physique et la santé des personnes s’améliorent, ainsi que leur tonus vagal -normalement stable-. 

La méditation ne suffit pas, la présence physique de l’autre, via la résonance, décuple les effets ressentis. C’est donc une clef de l’amour. En outre, c’est la répétition des émotions qui engendre une disposition altruiste durable. L’amour altruiste durable est également renforcé par la dimension cognitive, moins vulnérable aux changements d’humeur.

L’accomplissement du bien, le nôtre et celui d’autrui

Les religions ou autres traditions spirituelles, ou encore les philosophes sont à l’unisson : « la réalisation du bien d’autrui est non seulement la plus souhaitable des activités, mais aussi la meilleure façon d’accomplir notre propre bien ». 

Et l’amour de soi, ou le contentement de satisfaire nos aspirations est compatible avec la bienveillance pour autrui, contrairement à l’amour-propre ou l’égoïsme qui exige la considération et la satisfaction de nos désirs avant ceux d’autrui. 

L’exercice de l’altruisme peut impliquer le don de soi, de biens matériels, engendrer un coût. Cela dit, si celui-ci est en cohérence avec notre aspiration, alors ce coût s’évanouit ou est compensé par les bénéfices de notre action. Le coût extérieur peut être un bénéfice intérieur. 

Perdre une somme d’argent peut-être corrélé au bénéfice de la paix intérieure, de l’absence de conflit, de la justesse du choix, de l’économie psychologique. Se lever plusieurs fois au milieu de la nuit, pendant plusieurs mois, a un coût pour une maman, en même temps, celui-ci est largement compensé par le fait de voir son bébé d’épanouir et par la fierté de cet accomplissement.

L’égoïsme place l’individu dans des conditions de fragilité, car la recherche de la satisfaction à tout prix de ses objectifs individuels, à l’éventuel détriment des autres. En outre, il nie la réalité de l’interdépendance de l’individu et de son environnement. Le manque de recul qui en résulte le fragilise encore plus, entrainant plus d’échecs et de frustrations. Au contraire, la prise de recul, la prise en compte de plus de paramètres, de l’interdépendance des êtres vivants, va dans le sens de plus de stabilité et de capacité à évoluer et à interagir aussi harmonieusement que possible, qui rejaillit sur l’autre et sur soi. L’altruisme prend ainsi en compte plus d’éléments de l’interdépendance des êtres vivants, est mieux connecté à la complexité de la réalité et donc plus à même d’y faire face et de s’y adapter sereinement.