Faisons un tour des penseurs et figures de l’altruisme, pour pieux comprendre de quoi il s’agit. Altruisme, agapé, bienveillance, compassion, empathie…
Le terme « altruisme » vient d’Auguste Comte -XIXè- sociologue et fondateur du positivisme. Il suppose « l’élimination des désirs égoïstes et de l’égocentrisme ainsi que l’accomplissement d’une vie consacrée au bien d’autrui« . Pour le philosophe américain Thomas Nagel, c’est « une inclination à agir en tenant compte des intérêts d’autres personnes et en l’absence d’arrière pensées« . Pour le philosophe américain Stephen Post l’amour altruiste est « un plaisir désintéressé produit par le bien-être d’autrui, associé aux actes -soins et services- requis à cette fin.
L’agapé du christianisme est un amour inconditionnel envers d’autres êtres humains. Matei et karuma sont l’amour altruiste et la compassion du bouddhisme qui s’étendent à tous les êtres sensibles humains ou non.
L’altruisme est aussi sous tendu par l’intention qui précède l’acte altruiste, la motivation authentiquement bienveillante. Si l’altruisme est désintéressé, il ne nécessite pas un sacrifice ou une prise de risque personnels, et il peut engendrer des bienfaits personnels.
D’autres composantes de l’altruisme sont la valeur accordée à l’autre et le fait de se sentir concerné par l’autre. L’empathie nous fait ressentir ce dont l’autre pourrait avoir besoin -sans plaquer nos projections- et si nous nous en soucions, alors nous pouvons l’aider à satisfaire ce besoin. Etre altruiste ne nécessite pas de se sacrifier et engendre un sentiment de profonde satisfaction, d’accomplissement. L’accomplissement étant l’état ultime des besoins humains, modélisés par Maslow via sa pyramide.
Étendre l’altruisme
Allexandre Jollien : « L’altruisme c’est comme des cercles dans l’eau quand on jette une pierre. Les cercles sont tous petits au début, puis ils s’agrandissent pour embrasser la surface entière de l’océan. »
Se montrer bienveillant à l’égard d’un être cher ou sympathique est relativement naturel, c’est plus compliqué avec une personne mal disposée à notre égard… Si l’on sort de la bienveillance-récompense pour aller vers l’éthique séculière du Dalaï-lama on comprend que la bienveillance et la compassion ont pour but de favoriser le bonheur des êtres et de remédier à leurs souffrances. A l’inverse, notre bien et celui du monde ne peuvent reposer sur l’indifférence au bonheur de l’autre et le refus de voir les souffrances autour de nous.
Le bouddisme définit l’altruisme comme « le désir que tous les êtres trouvent le bonheur et les causes du bonheur ». Le bonheur est une manière d’être fondée sur un ensemble de qualités qui inclut l’altruisme, la liberté intérieure, la force d’âme, une juste vision de la réalité. Ce désir altruiste s’accompagne d’une constante disponibilité envers autrui alliée à la détermination de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider chaque être en particulier atteindre un authentique bonheur.
L’altruisme est global et focal : il vise à l’atteinte du bonheur par tous et s’intéresse à chacun en particulier.
La compassion et la forme que prend l’amour altruiste lorsqu’il est confronté aux souffrances d’autrui.
L’amour bienveillant et la compassion sont donc les deux facettes de l’altruisme :
- L’amour bienveillant souhaite que tous les êtres connaissent le bonheur.
- La compassion se focalise sur l’éradication de leurs souffrances.
L’empathie agit comme catalyseur de la transformation de l’amour altruiste en compassion.
La lucidité, la sagesse, le discernement, l’impartialité, l’équité éclairent l’altruisme et permettent d’orienter ses actions de façon pertinente.
Le soleil brille de la même façon pour tous, bons et méchants, pépite et déchet.
Ainsi la compassion sur une personne malfaisante ne consiste pas à tolérer son attitude mais à la considérer comme atteinte par cet état et à souhaiter qu’elle soit libérée de cette ignorance et hostilité qui l’habitent.
L’altruisme nécessite aussi de surmonter notre peur et notre insécurité qui peuvent se révéler face à une rebuffade, critique ou insulte et nous conduire automatiquement à nous protéger et garder nos distances. On parle ainsi de « compassion courageuse » dans le bouddhisme.
Le Dalaï Lama distingue deux formes d’altruisme :
- L’altruisme naturel ou instinctif, comme celui dont nous faisons preuve via à vis de nos enfants, nos proches, cette sollicitude dépendant de la façon dont nous percevons l’autre, sa vulnérabilité, son besoin de protection. Il est lié à l’évolution de l’espèce humaine, facilitant sa continuité. Cela dit, cet altruisme naturel est difficilement transposable à nos ennemis…
- L’altruisme étendu, qui lui, est indépendant de sa cible. Il se renforce au fur et à mesure de la pratique. Il dépasse le cercles des proches, de notre groupe social, ethnique, religieux, national, voire même de l’espèce humaine en s’étendant à toute forme de vie. Darwin et Einstein ont exprimé le développement de l’altruisme étendu comme un idéal à atteindre.
L’altruisme est perçu par deux voies complémentaires : le ressenti des émotions (je suis heureuse de voir une personne heureuse) et la compréhension ou la dimension cognitive : je comprends les causes des souffrances d’autrui, je les analyse et je choisis d’y remédier.
Selon le Bouddhisme, une cause fondamentale de la souffrance est l’ignorance, générant haine, désir, jalousie, arrogance…
A la racine de la souffrance se trouvent la haine, l’avidité, l’égoïsme, l’orgueil, la jalousie, et autres toxines mentales. L’ignorance est à leur origine, ignorance, dans le sens d’une projection, d’une fabrication mentale plaquée sur la réalité, une simplification de la réalité, bon-mauvais, amis-ennemi, un biais de perception, qui empêche de discerner. La connaissance ou la sagesse est la juste compréhension de la réalité, le fait de savoir qu’elle émane d’un nombre illimité de causes et de conditions changeantes, tel l’arc en ciel qui disparait lorsque les conditions ont évolué. « Prendre dans la pénombre une corde pour un serpent engendre la peur, mais dès qu’on éclaire cette corde, et que l’on reconnait sa véritable nature, cette peur n’a plus de raison d’être. » L’ignorance affecte donc notre manière de voir les choses, pas leur nature.
Le Nirvana est l’atteinte de l’Eveil, c’est à dire la libération de l’ignorance et de la souffrance.
L’altruisme authentique repose donc sur la compréhension des causes de la souffrance et la conviction que chacun a le potentiel nécessaire pour s’en libérer. On s’affranchit soi-même de l’ignorance, pour devenir ensuite capable de délivrer les autres des causes de la souffrance.