En synthèse de cette série d’articles explorant les couleurs des relations entre humains, nous voilà confrontés à un choix : quel humain voulons-nous être ? Et en écho, quelle équipe voulons-nous être ensemble ?
S’il part d’une réelle motivation altruiste, l’altruisme conditionnel est intéressé par le résultat obtenu, voire sous-tendu de méfiance, dissimulation ou manipulation. Un égoïsme raisonnable, sous-tendu de réciprocité, est bien sûr plus accessible qu’un altruisme désintéressé, volontaire.
Dans une communauté équilibrée, la réciprocité des échanges fonctionne. Ainsi, chacun pourvoit à ses propres besoins et aide ceux qui en ont besoin, sachant qu’à son tour il pourra être aidé en cas de besoin. Les individus aidés manifestent de la gratitude. Ceux qui ne jouent pas le jeu finissent par être ostracisés du groupe. La régulation grégaire se fait assez spontanément, au bénéfice du groupe, assurant une meilleure chance de survie et de développements. Cette régulation fonctionne tant que le groupe est suffisamment petit et que chaque membre de la communauté se connait. L’extension de la taille de la communauté favorise l’émergence de profiteurs échappant à l’engagement de tacite réciprocité.
Les systèmes tels que les mutuelles, coopératives, sécurité sociale fonctionnent de la sorte : chacun contribue régulièrement et est bénéficiaire si besoin. C’est le système sous-tendu par la devise des Mousquetaires : « un pour tous, tous pour un ! » Pendant toutes leurs aventures, d’Artagnan, Athos, Portos et Aramis se soutiennent mutuellement, autant face à des adversaires, que lorsque leurs poches percées sont vides !
On peut ainsi envisager une graduation : égoïsme -> égoïsme raisonnable -> altruisme intéressé -> altruisme réciproque -> altruisme désintéressé.
Les exemples d’altruisme visible et extraordinaire ne manquent pas. Des personnes qui dédient leur vie au service des autres, de façon désintéressée. Les grandes catastrophes sont suivies de mouvement d’aide collectif désintéressé et spontané.
En parallèle, se trouve également l’altruisme banal : les actes du quotidien, effectués sans y penser. Comme prendre un instant pour montrer son chemin à un touriste perdu.
De nombreux exemples montrent aussi de l’altruisme héroïque. Aux fondements de l’altruisme, il ajoute la prise de risque ou un sacrifice majeur, un prix à payer. Parmi les nombreux exemples, on peut citer les Justes, qui lors de la seconde guerre mondiale protégèrent des juifs, au péril de leur propre vie. Bien souvent, les personnes ne souhaitent pas les récompenses et distinctions qui leur sont accordées par la suite lorsque leurs actes sont connus. Ce dont ils font état est la satisfaction profonde de ce qu’ils ont accompli.
Ainsi, on peut distinguer l’altruisme héroïque exigeant une action immédiate et rapide, comme par exemple sauver quelqu’un d’une noyade, et celui s’inscrivant sur le long terme, en s’appuyant sur des valeurs de vie, comme dans l’exemple des Justes, ou pour les lanceurs d’alerte qui interpellent les pouvoirs et la société sur un dysfonctionnement grave (Edward Snowden, Delphine Batho). Des études montrent que ces valeurs sont acquises par une éducation transcendant l’individualisme, éducation fondée sur le respect de l’autre, la franchise, la justice, l’impartialité, l’honnêteté, la tolérance, l’équité, l’empathie, l’affection, la bonté. En outre, le point commun entre les sauveurs est « une vision du monde et des autres, fondée sur la conscience de l’interdépendance de tous les êtres et leur humanité commune. »
Expérimentation : mesurer l’altruisme véritable
Cela dit, est-il possible d’être altruiste, dans la vie quotidienne, sans aucune trace de motivation égoïste ou individuelle ? Autrement dit, l’altruisme désintéressé existe-t-il ou est-il sous-tendu de motivations plus individuelles ?
Les behavioristes (notamment John B Watson ou Burrhus Skinner) se sont intéressés exclusivement aux comportements observables, en shuntant les motivations qui peuvent nous faire agir.
Daniel Batson a conçu plusieurs tests pour mesurer l’altruisme authentique, en s’affranchissant d’autres paramètres, tels que l’obtention d’une récompense, un retour (j’agis de façon altruiste pour obtenir de la reconnaissance sociale par exemple) ou l’évitement d’une sanction (j’agis de façon altruiste pour éviter de ressentir un malaise, de la culpabilité voire de l’anxiété de n’avoir rien fait). L’évitement peut être physique ou psychologique. Ce dernier étant plus efficace, en effet, l’évitement physique ne résout pas le malaise ou la culpabilité.
Ces expériences montrent, que lorsque la personne a un fort niveau d’empathie, elle est également authentiquement altruiste, et après avoir agi, elle reste concernée par ce qui se passe pour la personne aidée, indépendamment de la reconnaissance sociale que cela pourrait générer, ou de la satisfaction personnelle qu’elle peut en tirer.
Le postulat de l’universalité de l’égoïsme chez l’homme (Thomas Hobbes, philosophe anglais : l’homme est uniquement motivé par son auto-préservation) est donc démonté par ces expériences.
En guise de conclusion sur l’existence d’un altruisme désintéressé
L’altruisme authentique, totalement désintéressé, existe bel et bien. Donc il n’est pas l’apanage d’êtes spéciaux, tout le monde peut y avoir accès, pas seulement les héros ou les saintes.
Autre conséquence : il peut s’apprendre, via l’acquisition de comportements pro-sociaux, tels que la coopération, la solidarité, la fraternité, l’équité, la non discrimination, le non jugement, l’ouverture à l’autre… Distinguo entre amour de soi et égoïsme
L’amour de soi c’est souhaiter son propre bien, quand l’égoïsme est ne souhaiter que son propre bien. L’amour de soi n’est pas incompatible avec l’amour de l’autre, alors que l’égoïsme est incompatible avec l’amour de l’autre. Par ailleurs, à l’origine de ces deux motivations à agir, il y a un désir. Ce qui les différencie ensuite est l’intention. L’altruisme est guidé par une intention bienveillante, qui tient en compte des intérêts d’autrui.
L’altruisme : un choix
Martin Luther King : « C’est à chaque homme de décider s’il marchera dans la lumière de l’altruisme créatif ou dans les ténèbres de l’égoïsme destructeur ».
Le Dalaï-lama dit que l’amour est plus naturel que la haine, l’altruisme que l’égoïsme. La bonté étant source de bien-être. Du début à la fin de sa vie, la survie de l’homme, animal social, dépend dépend de l’entraide et de la bienveillance dont il bénéficie et qu’il émet. Cela dit, les côtés plus sombres de l’homme existent aussi. Le côté obscure de la force.
Nelson Mandela témoignait que, dans ses années d’emprisonnement, l’aperçu d’une lueur d’humanité chez un gardien le rassurait et lui permettait de continuer.
On attribue à un vieil homme amérindien cette histoire : « Deux loups luttent en nous : l’un mauvais, plein de haine, d’arrogance, d’avidité d’égoïsme et de mensonge, l’autre d’amour, de patience, de générosité, d’humilité, de pardon, de bienveillance et de droiture. Lequel des deux loups gagne ? Celui que l’on nourrit »